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24 Mars 2004 : Le médicament, pansement social ?

 

 

Yamina GUELOUET, Psychiatre psychanalyste

   

 

 

... "le désordre des êtres est dans l'ordre des choses" dit le poète...

Ainsi du "désordre des êtres" à la souffrance n'y aurait-il qu'un pas. De l'ordre à l'ordonnance aussi. Mais ne dit-on pas aussi ordonnance, pour ce qui est de la prescription d'un médicament ? Il ne reste plus qu'un pas à faire, et nous l'espérons de ce débat, pour poser la question : que viendrait-il ordonner le médicament, quel genre de "pansement" serait-il dans une société occidentale, telle que nous la voyons de plus en plus tournée vers les idéaux - entre autres - de la performance, de la rentabilité, d'un "Il faut que ça marche!"

Médicament, pansement social ?

Café’In a invité :

Yamina Guelouet, psychiatre, psychanalyste

L’animatrice était Pieretta Sakellariou

 

Yamina Guelouet

Psychiatre, elle est donc médecin et a travaillé en hôpital et institutions. Elle a prescrit des médicaments en hôpital. Mais elle consulte en tant que psychanalyste dans un cabinet et ne délivre pas de médicaments sauf dans le cas où des patients l'exigent.

État des lieux : comment en est-on arrivé à la situation actuelle, où les médecins sont tentés de délivrer de nombreux médicaments ? L'industrie pharmaceutique a un rôle énorme, c'est ce qu'explique le dernier numéro de "Manière de voir : l'Apartheid médical".

 

Yamina Guelouet Texte de son introduction
L'animatrice

La médecine est solidaire de la société de consommation actuelle.

Prévert : "Le désordre des choses est dans l'ordre des choses". La souffrance est dans l'ordre des choses et plus particulièrement le malaise de chacun. Le symptôme est la marque de quelque chose qui vit. S'il n'y avait pas ce symptôme, ce serait la fin du vivant. Pourquoi refuse-t-on cet ordre des choses?

Intervention

Ma voiture tousse, soit je lui explique que c'est dans sa tête, soit je vais chez un garagiste qui ne sait pas réparer, soit je vais chez un autre garagiste qui sait réparer. Il y a deux façons de voir la maladie :

la rationnelle : grecque (Esculape à Épidaure, Galien), les médecins arabes

l'irrationnelle : les chamans ou les médecins médiévaux de l'Europe qui faisaient des prières pour guérir les malades Le coût de la médecine a évolué : elle coûtait très cher au XIX°siècle, avant la Sécurité sociale. Nous nous soignons parce que nous avons les moyens maintenant.

Yamina Guelouet Si l'on compare les dernières décennies avec le XVIII° siècle, il y une variation exponentielle des productions. L'évolution a accompli des progrès, la pensée a accompli des progrès mais par contre, actuellement, l'évolution exponentielle du savoir scientifique est sans effet sur les effets des ravages des médicaments. On ne pense pas ces ravages.
Interventions

Dans la relation médecin/patient, le patient n'est pas passif. Le médecin traite mais pas comme un vétérinaire.

Le vétérinaire ne traite pas non plus les animaux comme des machines.

Même si le médecin est imparfait, il a une interaction avec le malade, ce n'est pas seulement un prescripteur de médicaments.

Il y a encore trop de médecins qui poussent à la consommation de médicaments, on ressort avec des listes... Maintenant, ils ont restreint avec les nouvelles recommandations de la Sécu, mais jusque-là, ils poussaient le patient.

Yamina Guelouet Dans ce que le médecin apprend pendant ses études, il y a la pression du savoir scientifique. Il apprend à être spécialisé. Le corps est transformé en batterie d'organes. Il y a cinquante principes actifs à partir desquels on a crée des variantes.
Intervention (biologiste moléculaire) Mais toutes les grandes civilisations ont utilisé des milliers de principes actifs. On redécouvre des principes actifs qui ont été pratiqués depuis très longtemps. On recherche pourquoi certaines plantes ont des effets curatifs. Il faut se méfier des fantasmes de certains chercheurs en génétique qui sont ridicules par rapport à la nature car on ne va pas apprendre beaucoup par le génome. La biologie a évolué, de nouvelles générations de chercheurs pensent autrement. Il ne faut pas être pessimiste.
Yamina Guelouet Si on prend globalement le discours médical, c'est quand même les batteries d'examen qui dominent. Malgré quelques progrès, il y a un leurre du tout-savoir scientifique. Ce leurre est dupliqué par la physique. Oui, il y a un retour aux principes des plantes, à une pharmacopée ancienne. Des chercheurs américains y travaillent. Mais on découvre et qu'est-ce qu'on en fait? Eu égard à l'industrie pharmaceutique, on ne peut avoir aucune confiance en ce qui pourrait être découvert. Ca va être mis sur le marché pour être consommé.
Intervention Le médicament est un objet de consommation, obligatoirement. Tous, nous participons à cette chaîne de production et de consommation. Le médicament comme pansement social : il faut déconnecter la psychiatrie des pathologies courantes. Le médicament est utile pour soulager des souffrances à moins que l'on ne veuille attendre la mort dans la souffrance. Dans les maladies mentales, il y a surconsommation de médicaments car il y a une demande. Comment faire ensemble pour réguler? Le patient n'est quand même pas dans une position de force, il est malade, il réclame un soulagement, c'est le médecin qui connaît les médicaments.
Intervention Personne qui a fait des dépressions et qui a consulté de nombreux psychiatres qui lui ont délivré des quantités astronomiques de médicaments sans effet, d'après lui, pendant quinze ans. Les premières ordonnances contenaient trente prescriptions. N'y a-t-il pas moyen de faire autrement?
Yamina Guelouet

Elle a connu des patients aussi qui exigeaient des médicaments, dans son cabinet alors qu'elle n'en délivre pas. Il faut faire une différence entre la petite déprime et la dépression. Les patients demandent souvent à leur médecin de soigner des petites déprimes et il existe en effet des médicaments qui sont prescrits. La dépression, la mélancolie, c'est autre chose et c'est plus grave.

Interventions

Les médecins ne prennent pas le temps d'écouter (ou ne le font plus?).

Voulez-vous remplacer le médecin par le curé qui vous dira quoi faire?

En Afrique noire, c'est différent. Les gens sont malades mais heureux, alors que nous sommes peu malades et déprimés. Qu'est-ce que c'est que cette société Les Africains sont agressés par le paludisme, le sida, ils ont vécu avec les forces naturelles. Ils n'ont pas d'histoire, ils ont une culture orale.

On a plutôt effacé toute l'histoire de l'Afrique jusqu'au XVIII°. Le Zimbawé est un empire qui a laissé des vestiges.

Yamina Guélouet On a falsifié et occulté cette histoire.
Interventions

En Afrique, on consomme moins de médicaments qu'ici!

Dans les médicaments qu'on leur envoie dans les convois humanitaires, il y a 90% qu'on ne peut pas utiliser : les anxyolitiques en particulier.

Yamina Guélouet

En Afrique, ils sont en train de laisser leurs propres savoirs médicaux au profit de produits à la pointe du progrès. C'est la cas en Algérie. Pourtant, quand on remonte dans l'Histoire, on s'aperçoit que les médecins arabes avaient fait des progrès incroyables. On soignait la cataracte, on faisait de la chirurgie réparatrice. Il y avait des méthodes sans appareils.

Interventions

Pendant les Croisades, les Croisés ont bénéficié des soins de ces médecins et ont été surpris par leur savoir-faire. Pendant ce temps, dans l'Europe moyenâgeuse, on faisait des prières dans les hospices pour soigner les malades. Les barbares, c'était nous.

Autrefois, il y avait un rapport plus manuel au malade.

La consommation d'anti-dépresseurs correspond à la plainte des chômeurs que l'on ne veut pas entendre. Il faut y ajouter l'angoisse du médecin confronté à tous ces cas pour lesquels il ne peut rien faire. On est considéré comme un troupeau.

Yamina Guélouet Le médecin est devant une demande et il a une responsabilité car le malade peut se retourner contre lui s'il considère qu'il ne lui assure pas les soins nécessaires. Dans le cas de trop de médicaments, la clause de "personne en danger" ne joue pas. Beaucoup de dysfonctionnements sont physiques et en liaison avec le psychisme.
Intervention Les dysfonctionnements sont plutôt dans le cerveau. On peut les localiser.
Yamina Guélouet Ce genre d'arguments est à réfuter. Les neurosciences actuellement utilisent des appareillages de plus en plus sophistiqués pour essayer de faire passer ces idées.
Interventions

Mais on ne peut pas tout réduire à l'aspect analytique du cerveau. Bien sûr que la recherche sur la cerveau peut être entachée d'erreur mais elle n'est pas à rejeter

Ne vaut-il pas mieux des médicaments dans le cas de dépressions ? Une émission l'autre soir montrait les traitements affligés aux schizophrènes au cours des derniers siècles : camisoles de force, chambres capitonnées, sièges et appareillages de contention, électrochocs, opération avec un pic à glace derrière l'oeil pour atteindre un nerf, etc. C'était assez atroce.

Les médicaments sont une camisole de force chimique!

Les médicaments à condition qu'ils soient associés à une écoute a aidé cette personne en dépression à une certaine époque, à s'en sortir. Il est sûr que le médicament, là, peut être considéré comme un pansement social puisque cette dépression s'était déclenchée en pleine période de chômage. Mais l'écoute lui a permis un véritable travail sur elle. Fallait-il ou non des médicaments? Ils semblent nécessaires pour passer des caps.

L'entourage apporte également une aide.

Mais avec les conditions de travail actuelles, cette aide n'est pas facile à obtenir dans l'entourage social. On n'a presque plus le droit d'être malade.

Le médicament : "Il faut que ça marche", on lui demande d'avoir une action "efficace". Mais il faut qu'il marche dans une société où justement "il faut que ça marche", où la vitesse est la règle, où les gens sont bousculés, leurs rythmes non pris en compte, dans le travail par exemple.

Yamina Guélouet

Les patients ne sont pas égaux face au médicament. Certains ne supportent rien. Certains médicaments marchent avec certains patients, pas avec d'autres.

Dans son expérience clinique avec des malades non psychiatriques, elle a pu observer des cas de rémission de maladies lorsqu'on laissait la parole du malade s'installer, en recherchant comment la maladie était apparue et s'était développée. C'est faire un pas de côté par rapport à la médecine classique.

Il faudrait interroger des médecins qui voient des cancers et des rémissions.

L'évolution des neuro-sciences actuellement est une position par rapport au savoir, on croit que celui-ci va tout résoudre. La dyslexie par exemple peut se traiter par le langage, on traite le sujet, on s'intéresse à lui avant de rechercher des techniques. Bien sûr, on ne sait pas le temps que ça peut prendre.

Interventions

Le risque de thérapie sauvage où le patient se soigne lui-même avec tous ces sites sur Internet où l'on peut commander des médicaments et ces médicaments que l'on peut acheter sans ordonnance dans les pharmacies ? Des femmes sont décédées pour avoir pris des médicaments pour maigrir.

Et les hormones de croissance ? Un médicament dangereux n'a-t-il pas été mis sur le marché?

Ce sont les médias qui ont fait toute une histoire. Mais il y a une pression des parents pour faire grandir leurs enfants, pour qu'ils soient dans la norme.

L'animatrice Ce n'est pas de l'eugénisme, ça? Il faut être tous pareils, être dans la norme.
Intervention

Étre dans la norme, c'est culturel, ça a toujours existé : chez les Aztèques, on donnait une forme allongée aux crânes des enfants, pensons aux pieds des chinoises, aux cous des femmes girafes, etc.

Aujourd'hui, il vaut mieux être grand mais c'est vrai que l'on peut quand même se satisfaire de sa petite taille, à condition de l'assumer. Certains parents font subir des tortures physiques à leurs enfants par des appareillages dans les jambes pour leur rendre service plus tard. Ce n'est pas de l'eugénisme.

L'anorexie se développe parce qu'on manque de manque dans notre société. Comment résister pour trouver des endroits où on peut manquer ?

L'animatrice En conclusion...
Yamina Guélouet On peut évaluer l'apport scientifique de la médecine. Il faut responsabiliser le sujet par rapport à la mort.

 

Compte rendu du débat par Nadine Lanneau, secrétaire de Café’In

 

Les notes prises pendant les débats font l'objet de comptes rendus qui n'ont pas la prétention d'être exhaustifs mais veulent en donner une image la plus fidèle possible.

Lire le texte introductif de Yasmina GUELOUET

 

Chaque sujet fait l'objet d'une exposition à la Bibliothèque municpale etles livres sont recensés sur le site d'information de la ville de Saint Orens à la rubrique "Culture"