Occitan, Catalan, quel avenir pour l'Europe ?

"La vitalité des langues régionales diffère grandement de part et d'autre des Pyrénées. Comment expliquer ces différences ? Ces langues locales ont-elles encore un avenir dans un monde où l'anglais gagne chaque jour du terrain ? Le français, future langue régionale de l'Europe ? Langues régionales, cultures régionales, politiques régionales vont-elles de pair ? Langue et culture régionales, ferment de dynamisme économique ?"

Café’In a invité : Jean-Louis Maury, professeur d'occitan, Maïté de Agoretta, professeur d'Histoire dans une classe européenne avec espagnol, en lycée, parle le catalan, Un représentant du Parti Occitan, comité du païs tolosan

L'animateur était Michel Sarrailh

• Il présente les invités et donne la parole à chacun

Jean-Louis Maury

• fait un historique.
• Dans les années 1100, les Comtes de Toulouse sont plus puissants que les rois de France. Depuis Charlemagne, en effet, le pays est divisé en comtés. Les "comites" sont chargés de garder un pays. Les princes deviennent indépendants, Toulouse est une puissance économique et culturelle à son apogée. Le premier troubadour est Guillaume IX qui renouvelle la poésie.
• Le mot "amor" prononcé "amour" est le seul mot occitan à être passé tel quel dans la langue française. En ancien français, on disait ameur qui signifiait "plaisir sexuel". L'amour est donc un concept nouveau, c'est la "fine amor" des troubadours qui respecte la "dame" et établit une égalité sexuelle. Cette civilisation était très cultivée.
• Dans les années 1200, le Comte de Toulouse fait allégeance à Pierre II roi d'Aragon. Existe de fait une unité de puissance d'un pays occitano-catalan.
• C'est une période de révolution culturelle et religieuse dans le Comté de Toulouse et de Barcelone. En Espagne, les juifs sont libres de pratiquer leur relgione et en occitanie, ce sont les Cathares qui apportent une nouvelle religion. Mais l'Église Catholique ne peut admettre cette liberté car elle ne peut plus percevoir assez de dîmes et d'impôts.
• Simon de Montfort lance une croisade. 1209 : lors d'une grande sècheresse, Carcassonne est prise. Trencavel, comte de Carcassonne, allié à fois à Toulouse et à Barcelone selon le profit qu'il en retire, est fait prisonnier
• Mais 1213 voit la Bataille de Muret qui va marquer la fin du royaume occitano-catalan. Pierre II d'Aragon meurt à cette bataille. À partir de là, les Aragon ne viendront plus en aide aux occitans, car le traité de Meaux signé par la suite, leur enlève la Provence et le Gévaudan. Avec la croisade de Saint-Louis, ce sera la défaite complète pour les occitans.

Intervention

• D'où vient la barrière de langue entre le catalan et l'occitan?

Jean-Louis Maury

• Il y a en fait peu de différences. C'est comme pour les dialectes occitans, il existe le languedocien, l'auvergnat, le provençal, le limousin, le gascon mais de vallées à vallées, les gens se comprenaient. Le catalan présente peu de différences avec le languedocien de Leucate par exemple.
• C'est la langue latine qui a évolué; la "lengua romanica", c'est du roman qui a évolué.
• Mais aujourd'hui, ce qui est curieux, c'est que c'est Barcelone qui vient défendre la langue occitane à Toulouse en proposant le 6 mars une dictée.

Maïté de Agoretta

• Enseigne l'histoire en castillan dans un lycée de Toulouse mais parle le catalan. En Catalogne, la langue catalane est la langue officielle du système éducatif. Après la dictature de Franco, la démocratie a récupéré le catalan mais les dernières années de la dictature, des mouvements culturels n'étaient pas interdits. Une loi fut votée en décembre 1969 après un débat : quel modèle choisir entre le castillan, le catalan, ou les deux? Le pays Basque a fait le choix des trois modèles mais la majorité de la gauche et une partie de la droite en Catalogne ont choisi le modèle unique catalan comme moyen libérateur : "Est catalan toute personne qui habite la Catalogne".
• Le catalan est devenu alors la langue véhiculaire de l'éducation, aujourd'hui de l'école primaire à l'université même si les universités y sont venues plus lentement à cause de leur autonomie. Maintenant la majorité des professeurs sont catalans.
• Il a fallu concevoir un programme de recyclage pour les instituteurs et les professeurs de toutes les disciplines. Les résultats sont mitigés parce que le milieu social et la langue parlée à la maison sont discriminants. Les enfants en fait écrivent et lisent en catalan et en castillan mais parfois chez eux parlent uniquement le castillan parce que leurs parents sont castillans.
• L'avenir est cependant incertain car la Catalogne est un pays qui n'a pas d'État. Il faudrait un usage social plus répandu de la langue. Mais existent des publications en catalan, des radio en langue catalane.

• Dans la rue, si on s'adresse à des personnes en catalan, elles répondent, donc il y a un usage

Maïté de Agoretta

• Les gens répondent en général si on s'adresse à eux en catalan et s'ils le connaissent mais ils ne l'utilisent pas dans la vie courante.

Intervention

• C'est donc une langue qui a été imposée ?

Maïté de Agoretta

• C'est surtout une langue maternelle qui a été légitimée à un moment donné.

Intervention

• Si on est bilingue, c'est mieux. Pourquoi éliminer une langue ? Garder sa langue maternelle donne des facilités pour apprendre d'autres langues.

Intervention

• Le catalan est quand même imposé car pour travailler dans l'administration, il faut parler catalan, on 'a pas le choix.

Jean-Louis Maury

• Pourquoi certaines langues seront reconnues dans l'Europe et d'autres pas ? A-t-on la volonté de les maintenir?

L'étudiant représentant le Parti Occitan

• Ce parti est né en 1987, d'une union de mouvances occitanes. C'est un parti autonomiste et membre d'une fédération nationale, solidaire des basques, des corses, des bretons, des catalans. Il fait partie du Parti démocratique européen avec des écologistes.

Intervention

• Que défendez-vous ? La langue ? La culture?

L'étudiant représentant le Parti Occitan

• Oui, mais au niveau politique. Ce parti demande un statut juridique, protecteur car la France se réfugie derrière l'article 2 de la Constitution qui fait du français la langue unique.
• Il demande
  • le droit de parler sa langue comme le défend la Charte de l'Unesco
  • la possibilité de rester au pays "vivre et travailler au pays"
• Quel avenir dans l'Europe? L'Europe est la dernière chance car les autres pays sont fédéralistes : l'Espagne avec ses provinces autonomes, l'Allemagne fédérale, le Royaume Uni. La France est le mauvais élève de l'Europe avec la Grèce.
• L'Europe des régions a besoin des régions pour faire passer du niveau européen au niveau local.
• L'avenir peut être positif mais si on n'agit pas, elle sera un simple cadre économique et administratif. Il faut agir localement pour que les occitans prennent conscience qu'ils sont occitans.

Jean-Louis Maury

• Il est important de connaître les mots. À Saint-Orens, une rue porte le nom de "Carabènes" le long de la rivière de la Marcaissonne. Or, si on connaît l'occitan, on comprend tout de suite que les "canabores", ce sont les roseaux, donc se trouvent dans un lieu humide, inondable. Mais des gens ont acheté des terrains dans cette zone en toute inconscience. La perte culturelle peut avoir des conséquences terribles.

Intervention

• Pourquoi y a-t-il eu cette liberté de parler catalan en Espagne et l'obligation de parler français en France ?

Jean-Louis Maury

• En Espagne, des idées progressistes socialistes existaient au XIX° siècle en faveur de l'autonomie. en 1874, lors de la première république, il y avait déjà la liberté linguistique.
• En France, le pouvoir jacobin de la Révolution a voulu la centralisation.

Intervention

• Il y a eu un courant fédéraliste aussi à ce moment-là.

Jean-Louis Maury

• La Commune de Paris était aussi fédéraliste.
• Ce qui a été décisif, ce fut la guerre de 1914-18, en faisant sortir les gens de leurs campagnes. Les pays ont été obligés de se fédérer dans le sang contre l'Allemagne et ce processus a continué lors de la seconde guerre mondiale.

Intervention

• En Ariège, pendant la "Guerre des demoiselles" qui était une lutte pour conserver un patrimoine, des cultures, des droits sur les pâturages, Napoléon a nationalisé pour exploiter des mines.

Intervention

• En deux ou trois générations, l'occitan s'est perdu et n'est plus parlé par les petits-enfants, les jeunes d'aujourd'hui, et dans quelques années, les plus âgés auront disparu emportant leur langue.

Intervention

• Dans les années soixante-dix, on justifiait l'abandon des langues par l'argument qu'un français qui parle anglais est polyglotte.
• Il y a eu volonté de l'école en France d'éradiquer les patois : Pierre Jakes Hélias dans "Le Cheval d'Orgueil" dans les années 1970 rapportait que tout élève, pendant sa jeunesse, au début du XX°siècle, pris à parler en breton devait porter autour du cou une "vache", un bâton. En occitanie, c'était le sabot qui remplaçait la vache.
• Dans les années soixante-dix, on a voulu politiser le "vivre et travailler au pays". Mais il semblerait que ce soient les habitants de la région qui sont exilés pour des raisons professionnelles qui se sentent occitans. À leur retour au pays, ils n'ont plus de raison de se sentir occitan puisqu'ils sont au pays, et ils n'ont pas l'occasion de pratiquer la langue.
• D'autres part, on a tous besoin d'une langue véhiculaire : pendant des siècles, ce fut le latin, ensuite, le français, maintenant, c'est l'anglais.
• On peut aussi s'interroger sur le fait qu'une langue sert à la distinction quand on cherche à imposer un accent. Le français pour tous est une marque de distinction lorsqu'il l'accent régional est méprisé au XIX° et au XX°. Actuellement, l'anglais que l'on apprend en classe, c'est l'anglais avec l'accent d'Oxford.

Intervention

• C'est une question de Droits de l'Homme. Tous les peuples doivent avoir le droit de parler leur langue.

Intervention

• Une identité évolue, on la choisit. Ce sont des raisons historiques qui expliquent qu'on a oublié sa culture. On est français et européen et habitant du monde et aussi appartenant à la biosphère et au niveau local on peut être occitan. C'est une richesse.

L'étudiant représentant le parti occitan

• Il y a eu une politique de génocide culturel à un certain moment., nous avons eu deux siècles de centralisme. Il est normal qu'on apprenne à l'école l'espagnol, l'anglais, l'allemand mais pas l'occitan.

Intervention

• On n'a pas à apprendre l'occitan dans l'école laïque publique!

Jean-Louis Maury

• Pourtant le drapeau occitan, lui est mis en avant par le Conseil Régional, la mairie de Toulouse. La croix occitane prouve que l'on a cette identité-là et qu'elle est revendiquée.

L'animateur

• Mais n'a-t-on pas atteint un point de non-retour avec la langue ici ? Mon fils n'étant pas originaire de la région d'ailleurs, a suivi des cours d'occitan à l'école primaire, preuve que ça se fait, mais il n'en a rien retenu car c'étaient des chansons et surtout parce qu'il n'avait aucune possiblité de parler cette langue à l'extérieur. Tout le monde parle français.
• Le Parti occitan fait 1% de voix : n'est-ce pas une lutte sans espoir? Pourquoi vouloir revenir aux troubadours, au passé?

Intervention

• C'est d'abord le décret de Villers-Cotterets de François Ier qui a institué le français comme langue administrative pour que tout le monde se comprenne au niveau de l'État. Le même phénomène se produit aujourd'hui avec l'anglais : quel universitaire peut se permettre de ne pas écrire en anglais pour communiquer son travail, c'est obligatoire.
• Il ne faut pas voir la langue de façon étroite. Azouz Bégag raconte que lorsqu'il passait son BEPC, sa prof de français lui a dit : "Vous vous débrouillez très bien en français, vous êtes de quelle origine ?" Et il a répondu : "Je suis d'origine humaine"
• Il faut penser métissage, c'est ce que font les "Fabulous Troubadours" de Claude Sicre et les Zebda qui mélangent l'occitan et le kabyle

Intervention

• L'occitan donne autant d'outils que l'anglais.

Intervention

• L'important, c'est l'avenir. La région, c'est le monde mais on peut être content d'être dans sa culture, l'occitan.
• Ce peut être un gros atout économique de développer sa région. Des jeunes ont monté des entreprises en Bretagne pour rester au pays.
• Mais en occitanie, on a perdu sa fierté.

Intervention

• Les 2000 enfants des "Calendrettes" (écoles occitanes) ne pourront pas maintenir la langue et la transmettre. Ce sont des occitanistes passifs qui parlent français dès qu'ils sont dans la cour de récréation et chez eux.
• Comment voulez-vous que cette langue puisse revenir spontanément ?

Jean-Louis Maury

• Il y a un mystère dans l'enseignement. L'occitan est autorisée comme langue culturelle mais elle n'offre aucun débouché. D'ailleurs peu d'élèves s'inscrivent dans cette option. Et il y a maintenant une concurrence avec le latin et l'espagnol et des luttes d'influence parmi les enseignants de ces langues. De plus, alors que l'an dernier, il y avait une vingtaine de postes au CAPES d'occitan, il n'y en a plus que quatre cette année.
• Ceux qui vont rester, ce sont les grands défenseurs, et curieusement, les japonais. les allemands et les autrichiens.

L'étudiant représentant le Parti Occitan

• Une calendrette ne fait pas un occitaniste.
• Il faut s'inspirer de l'exemple corse : ils ont dit "obtenons d'abord un statut, alors on aura l'autonomie et il pourra y avoir obligation de parler le corse".
• Mais les occitans n'ont pas voulu être violents et n'ont pas réussi à se faire entendre.

Intervention

• Il y a surtout une autre culture en Corse qu'en occitanie qui explique peut-être les choses.

Intervention

• Au Québec, les canadiens ont obtenu un statut et le droit de parler français en se battant dans les années 75.

Intervention

• Que défendre : la démocratie ou l'occitan ? Ce que certains ne voient pas, c'est que les gens ne se sentent pas occitans et qu'on n'a pas le droit de les obliger.

Intervention

• Aux USA, certaines villes autorisent l'espagnol comme langue officielle, les chaînes de radio ne sont pas en anglais. Par contre, en Californie, il y a des lois pour défendre l'anglais.

Intervention

• L'Irlande du Nord au moment de l'Indépendance a imposé le gaélique dès la maternelle et dans tout ce qui est culturel. Les concours administratifs doivent être passés en gaélique.

L'animateur

• Pour conclure...

Jean-Louis Maury

• Pour être positif, il souhaite aller vers un jumelage avec une ville catalane et Saint-Orens. C'est en discussion au niveau de la municipalité. Une association va être créée où chacun sera libre d'adhérer pour développer les échanges entre ces deux régions dont les racines sont si semblables.
• Un tel jumelage est possible actuellement grâce à l'Europe qui fournit des masses d'argent pour développer des liens culturels.

Compte rendu du débat par Nadine Lanneau, secrétaire de Café’In

Les notes prises pendant les débats font l'objet de comptes rendus qui n'ont pas la prétention d'être exhaustifs mais veulent en donner une image la plus fidèle possible.