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Café'in... Les archives de nos débats...Débat n°5, 28 Mai 2002, 20h 45 :Classes difficiles : Echec des élèves, échec des profs ?Invités :
Compte rendu du débat du 28/05/02 |
Lanimatrice du débat : Véronique Barsony
La situation des élèves aujourdhui lui fait penser à la fable de La Fontaine Le lièvre et la tortue . Seulement, La Fontaine ne serait pas daccord avec la morale actuelle : les lièvres gagnent, et les tortues sont laissées au bord du chemin. Le débat va porter sur léchec des élèves, mais est-ce de léchec des élèves quil faut parler, ou ne sagit-il pas de léchec des profs, et de lInstitution ?
Patrick Baggi
Les enfants nont pas tous les mêmes facilités
pour apprendre mais il ne faut pas considérer cela comme un
échec. Léchec, cest la reproduction des
classes défavorisées. Les familles de ces enfants-là
ont le désir de réussir. Ces élèves arrivent
à prendre place si on soccupe deux.
Cathy Parrot
Elle travaille dans une ZEP des quartiers nord de Toulouse aux écoles très étiquetées. Les enfants y sont en très grande difficulté et les enseignants aussi.
Jean-François Blin
Le titre la interpellé : Échec des élèves, échec des profs ? .C'est dabord léchec de la société. Lécole lui paraît merveilleuse dans sa façon de résister aux dérives sociétales actuelles. Il dit dailleurs à ses stagiaires : Vous entrez en résistance ! Les causes des difficultés sont diverses :
- lidéologie libérale qui
valorise la compétition
- la mutation des structures sociales. LInstitution ne structure
plus
- les dérives médiatiques : il ny a plus de
différences entre lintime et le social (cf.
Loft story ). Tout se montre, tout se dit
- les difficultés familiales. Certains parents nont
plus de dispositif de contrôle sur leurs propres enfants.
Les classes difficiles, on en trouve de plus
en plus dans des établissements classiques. Il existe deux
gros dossiers sur Midi-Pyrénées : laugmentation
de la prise de drogues et les violences sexuelles. On note
aussi des élèves qui se masturbent ou se déshabillent
en classe. Ce sont des comportements asociaux.
Depuis deux ou trois ans, un des problèmes dès
la maternelle est le suivant : les enfants quel que soit leur origine
sociale nont pas développé la capacité
à faire face aux frustrations. Alors, se développe un
phénomène dévitement : mon copain a des
Nike, si je les lui prends, cest du racket, sinon, je développe
un malaise, une souffrance psychique.
On peut remarquer aussi deux cas, deux façons de réagir
:
- soit une violence extériorisée
: dans les établissements sensibles
- soit une violence intériorisée : anorexie, boulimie,
consommation de drogues dans les établissements de centre
ville ou favorisés
Cathy Parrot
Quand on apprend, on a besoin dêtre frustré. Il faut faire la différence entre désir de savoir et désir dapprendre.
Jean-François Blin
Il faut faire des efforts sans savoir. Mais notre école fait une confusion entre effort et souffrance, cest une dérive de lInstitution. Les élèves pourront faire des efforts si ça fait sens, les élèves sengagent dans des projets quand ils en comprennent le sens. Les pratiques pédagogiques sont sous une forme punitive. Un de ses étudiants a fait une recherche sur lhumiliation en milieu scolaire. Pour beaucoup délèves, lécole est un lieu de souffrance.
Lanimatrice
Le principe de plaisir opposé au plaisir de réalité. Effectivement, cest ainsi que lon va socialiser lenfant. Mais ne croyez-vous pas que le parent est lui-même infantilisé à lheure actuelle ? La société en fait surtout un consommateur.
Jean-François Blin
Trois phénomènes historiques expliquent lattitude
des parents :
- leffet mai 68. Face à la société
autoritariste, on a voulu prendre ses désirs pour des réalités
- le monde du travail est devenu dur, et désocialise. Il y
a du chômage, donc les parents travailleurs ont joué
le cocooning, pas de conflit dans la famille ! . Par
contre, dans les quartiers sensibles, il y a des gamins qui nont
jamais vu leur père travailler. Au plan identitaire, il nest
alors pas possible de poser des interdits. Il ny a plus de père
symbolique. Certains gamins à partir de 10 ans ramènent
largent du ménage grâce à léconomie
parallèle. Quant aux bacs plus 35 , où
les deux parents travaillent dur, on note une absence parentale, même
le week-end.
Patrick Baggi
Cependant, dautres adultes peuvent prendre le relais. En fait, lorsqu'ils sont violent les enfants demandent à lenseignant de réagir, dêtre adulte. Lécole a une mission éducative et exige que lenseignant, linfirmière, lassistante sociale, le Conseiller principal déducation soient plus présents.
Jean-François Blin
Un enfant élevé par son père seul ou par sa mère seule peut ne pas avoir de handicap, il ny a pas de déterminisme si la fonction symbolique est bien ancrée, si lenfant rencontre des adultes relais qui laident. Mais la majorité des collègues ont-ils intégré que lacte éducatif est formateur ? Beaucoup sont encore dans le disciplinaire. Comment construire des règles en classe ? Comment travailler les registres, son look devant les élèves ? Accepte-t-on certaines attitudes ? À quel moment fixe-t-on des modalités ? Tout cela se travaille avec les élèves.
Lanimatrice
Il s'agit là d'une remise en cause du recrutement des enseignants
Jean-François Blin
Il ne croit pas à la formation initiale car il a travaillé sur le terrain avec des délinquants à ses débuts et cela l'a beaucoup aidé. Il vaudrait mieux une formation sur cinq ans avec des allers-retours et des analyses à partir du vécu du terrain quand lenseignant est en poste.
Cathy Parrot
Elle vient daller à lIUFM pour une formation. Cest super dy aller au bout de vingt-cinq ans car il y a des allers-retours.
Un enseignant heureux dans un Lycée Professionnel. La presse a tendance à dramatiser quand elle présente certains établissements.
Jean-François Blin
Heureux, car il est dans un Lycée Professionnel, ça explique les choses ! Il y a quand même des situations difficiles dans certains cas : des établissements où lon trouve 92 % délèves dorigine maghrébine, sans mixité sociale.. Mais ce qui linquiète, actuellement, ce sont les établissements classiques.
Un enseignant. Dans un lycée, il faut savoir imposer à lélève un savoir pour quil arrive au bac même sil ne comprend pas lintérêt immédiatement. Or, les conditions de travail dans les établissements sont dures : des cours de 8 h à 18 h, alors lécoute est difficile entre les cours. Les élèves ont 9 heures de cours par jour. Les enseignements sont très autoritaires, très dirigistes mais ce sont les conditions qui poussent à ça.
Jean-François Blin
Il est daccord sur un plan syndical au sujet des conditions de travail, cest vrai que lInstitution n'aide pas, il y a des conditions qui ne suffisent pas pour lécoute. Mais lélève doit comprendre pourquoi il apprend, le sens est très important, les élèves qui sengagent dans des projets le font avec conviction. Par exemple, le prof de maths qui montre à quel moment est arrivé un point du programme, une question dans lhistoire, pourquoi tel problème de maths sest posé au cours de lhistoire, ce prof aide les élèves à comprendre le sens de ce quils font. Ensuite, les études de Debarbieux ont montré que sur le plan de la violence, les moyens que lon a donnés à certains endroits, très importants parfois, nont eu defficacité que pour les établissements qui avaient mis en place des équipes pédagogiques, qui avaient transformé les mentalités. Les TPE (Travaux Personnels Encadrés) au Lycée, par exemple, ont poussé les enseignants à travailler ensemble. Dans lenseignement agricole, il y a depuis longtemps une pratique denseignement collectif et une logique de travail en module.
On entend aussi dans les Conseils de classe : un tel, il ne travaille pas mais personne ne cherche de solution pour quil travaille. Ils sont essoufflés à 15 jours du bac ! Il faudrait faire confiance aux jeunes, mobiliser les bonnes énergies.
Jean-François Blin
On sait aujourdhui que les établissements qui sen
sortent bien, cest quand il y a du travail collectif. Quand
il y a des difficultés, on se serre les coudes avec les parents
aussi. Quant aux conditions matérielles, il faut du temps.
De plus, lInstitution est en retard. des locaux dépendent
de la Région, du département ou de la municipalité
et dans certains établissements, il ny a pas de bureaux
dans la salle des profs. Dautre part, bon nombre de collègues
sont dans une très forte culpabilité depuis 10 ans,
car ils sont confrontés à la société,
aux parents. Enfin, pour travailler en équipe, il faut être
capable de se retrouver autour dune table. Que chacun puisse
poser ses représentations du problème. Seulement,
ça amène du conflit. Ce conflit nest pas propre
à lÉducation nationale, cette difficulté
de communication existe aussi dans les entreprises . Elle sexplique
parce que très vite dans la discussion rationnelle, on bascule
dans laffectif : un tel va dire quil est agrégé
de maths donc il va faire sentir quil est mieux placé
que le maître auxiliaire ou le prof de musique. Les profs
vont se lancer des piques qui gâchent tout. Comment faire
travailler ensemble des personnes ? Ca repose sur de la confiance..
Une enseignante. Dans son lycée, il ny a pas de classes difficiles mais il y a en moyenne deux élèves chez le psychiatre en classe. On ne sait pas gérer, il y a des tentatives de suicide. La plupart des profs sont près de la retraite. Pourtant les TPE (Travaux Personnels Encadrés) ont changé beaucoup de choses. Petit à petit, des embryons de relations se sont révélés. Les profs sont obligés de travailler ensemble par deux, ils laissent les élèves se débrouiller. Comme les élèves se retrouvent devant des difficultés pour définir leur sujet, ils communiquent entre eux. Il y a maintenant des réunions interdisciplinaires. La question du sens a changé.
Un principal de collège. Des gens ont eu envie de travailler ensemble. Les élèves aiment le travail pluri-disciplinaire.
Patrick Baggi
Dans une classe, une élève a été traitée de sale arabe . Il ne faut pas laisser traîner ce genre daffaire. On a parlé de ça avec la classe car ladulte est interrogé sur sa réaction et les enseignants ont une responsabilité. En fait, en général, les gamins ne sont pas racistes entre eux, sils ont eu ces mots, cest une façon dinterroger ladulte, de voir jusquoù ils peuvent aller.
Jean-François Blin
Les parents souffrent aussi car il y a beaucoup de dysfonctionnements : la dyslexie, par exemple, mais aussi la gestion des enfants précoces. En même temps, le métier est devenu plus complexe. Lenseignant doit être un spécialiste des apprentissages, savoir comment aider les gamins à comprendre, comment aider les gamins sur le travail de labstraction, sur lhétérogénéité. Il faut quil soit un spécialiste de la socialisation, de la sociabilité. Et puis la France a dix ans de retard sur les pays anglo-saxons. La troisième dimension, la dimension de la personne va être enfin prise en compte lan prochain dans la formation de lIUFM. Car le premier outil de lenseignant, cest le corps, la gestuelle, la posture devant les élèves.
Lanimatrice
C'est dommage qu'il n'y ait pas ici des enfants et des élèves. Les lycées et les collèges, devraient être des maisons des jeunes où les ados devraient se plaire. Le corps de lenseignant est mutilé, le corps de lenfant est aussi mutilé. Laccueil doit être repensé.
Normalement, il devrait y avoir une maison des lycéens dans
chaque lycée et une heure de classe pour discuter avec les
élèves et développer la parole mais elle est
souvent utilisée par les enseignants pour rattraper le programme.
Effectivement, chaque élève est une personne singulière.
On oublie les travaux de Bernard Charlot qui a étudié
toutes les réformes et qui en conclut quelles ont toutes
un échec de 20%, donc elles ne peuvent correspondre à
tous les types délèves. Parfois lélève
na pas envie. Il faut aussi écouter lélève
qui manifeste souvent un problème personnel derrière
une attitude agressive. Des ateliers décriture mont
permis daider une élève en souffrance.
La question des parents. Les associations de parents sont minoritaires. Les familles denfants en difficultés ont des difficultés de relation avec lécole. Les enseignants ont tendance à dire que si lélève ne travaille pas, cest la faute aux parents.
Parfois, les meilleurs élèves refusent dêtre la tête de classe. Si on participe, si on anime, on est mal vu, on se fait traiter de fayot.
Jean-François Blin
Àlors, là, cest lenseignant qui dès
le début doit mettre un frein à ce genre de comportement.
Dans un établissement, des filles se sont fait violenter
et se sont fait traiter de fayots parce quelles voulaient
travailler. Dès la première heure, lenseignant
est intervenu comme le garant de la sécurité des apprentissages.
Quelles sont les pratiques pédagogiques qui limitent la violence
? La prévention se fait par :
- la manière denseigner : donner
du sens faciliter les apprentissages
- la manière de conduire ce groupe fait que ça limite
ou pas Comment je construis un climat de confiance.
En un mois, on peut démolir un jeune dans la manière
de rendre les contrôles par exemple. Certains gamins pensent
être génétiquement nuls en maths. Le processus
est bien connu.
Les enseignants doivent travailler avec les élèves
sur les valeurs : des équipes montent des travaux pratiques
pour faire des règles de classe, pour faire participer les
enfants à lélaboration des règles.
La question des relations parents-enseignants : on na pas
comprs ce quest la co-éducation.
Quest-ce que la co-éducation ?
Comment ensemble enseignant et parent peuvent aider un élève
qui ne travaille pas ou a des problèmes de comportement ?
Un gamin est sanctionné en vain, rien ne marche. Lenseignant
appelle, invite les parents : voilà les problèmes
. Un contrat comportemental est établi, lenseignant
demande aux parents de prendre des mesures dans la famille :
- 1° semaine : il y a amélioration
du comportement de lélève, sans attendre,
lenseignant envoie une lettre pour montrer lamélioration.
- Les parents qui reçoivent cette note positive la montrent
à lenfant qui voit que son comportement fait plaisir
et donc le comportement va continuer à saméliorer.
- Lenseignant voit les effets en classe et le travail saméliore
L'animatrice
Pour conclure le débat...
Jean-François Blin
On est dans le complexe. Il y a au sein de lécole
un certain nombre de personnes qui sont des militants. Ailleurs,
il y a les parents, dautres acteurs qui sont des militants
aussi. Ces deux mondes ne pourront améliorer les choses que
si cest un combat commun. Et ce combat sera perdu si cest
un combat pour lécole uniquement, il faut un combat
pour la société. Lécole est le reflet
de la société. On ne peut pas changer lécole
par la seule pédagogie.
La secrétaire, N.L.