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Débat n°3, 19 Mars 2002, 20h 45 : Religion et Laïcité, où poser la frontière ?

Nos invités :
Mamadou DAFFE,

Imam de la mosquée de Bellefontaine
Directeur de recherche au CNRS

Alain GERARD,président du GREP (Groupe de Recherche en Education Permanente)
Auteur de "Ethique et Modernité" "Permanence de la laïcité en France et dans le monde", ouvrage collectif publié sous sa direction aux Ed. Privat

Compte-rendu du débat.

La laïcité

Alain Gérard : Fin XIX° siècle, il y a eu une lutte d’idées entre l’Église catholique traditionnaliste et un courant d’opinion peu structuré rattaché à une théorie de la laïcité qui n’a plus cours actuellement. En fait, la laïcité est née d’une préoccupation administrative et scolaire. Il y a eu une évolution depuis en Europe. Le problème de l’école avec Dieu ou sans Dieu est dépassé à l’heure actuelle. Et l’Église catholique a évolué de son côté.
Dans le monde actuel, la laïcité est très capable de résoudre les problèmes actuels. Il s’agit d’un dispositif administratif, politique et juridique qui fait qu’un État ne s’immiscera pas, n’interviendra pas dans le religieux, le philosophique.
Les lois de 1905 en France ont coïncidé avec l’établissement de l’école de Jules Ferry. Il y a très peu d’états dans le monde qui sont laïques comme en Franc.
Exemple de la Turquie pourtant : lors de l’effondrement de l’empire ottoman, Mustapha Kémal a occidentalisé la société turque à la fin de la seconde guerre mondiale. Le dernier sultan-calife représentant de Dieu sur terre avait la main mise sur le citoyen.
L’Inde : lors de l’Indépendance de 1947, elle s’organise sous la forme d’une République laïque.
Le terme “ laïque ” n’existe pas en anglais, on parle de “ secularity ”. Le régime de Gandhi et Nayrou interdit aux partis politiques d’inclure dans les programmes politiques des références religieuses. Actuellement, il existe un parti intégriste hindouïste. Il s’agit d’une grande démocratie mais pauvre. Mais la laïcité reste une préoccupation du monde indien.
En dehors de ces deux pays, il y a très peu d’exemples de nations régies par des constitutions de cette forme.
Il y a au contraire beaucoup de pays non-laïques dont certains sont devenus laïques dans les faits de par l’évolution des mentalités. : les pays anglo-saxons par exemple. La reine est le chef de l’Église anglicane, mais la liberté de conscience est assurée pour le citoyen. Il existe des rivalités entre tendances protestantes mais la reine n’intervient pas.
Les pays non-laïques : l’Irlande qui a une constitution où l’on lit “ la Très Sainte Trinité et Notre Vierge Marie ”. La Grèce : il fallait jusqu’à une époque récente marquer sa religion sur sa carte d’identité.
La notion de laïcité : la laïcité ne signifie pas être ennemi de la religion. Elle protège la libre-pensée contre les envahissements de la religion et vice-versa.
La laïcité aujourd’hui : le multiculturalisme amène des rivalités entre religions mais il est impensable qu’un pouvoir politique quelconque puisse prendre position pour un courant contre un autre.
Il existait un pays qui interdisait la religion et donc n’était pas laïque : l’Albanie communiste.

On a fait des études auprès des jeunes de 18-25 ans à Toulouse sur l’idée de laïcité. À la fac des sciences de Rangueil, le concept n’était pas connu, en Lettres au Mirail, on savait à peu près. C’est à l’Institut Catholique que l’on a eu les réponses les plus précises.

L’Islam va devoir faire le même chemin que l’Église Catholique. Si Ben Laden avait été laïque, il se serait opposé aux USA comme tous ceux qui manifestent à Barcelone.
Si l’on passe en revue les conflits, ce sont souvent pour des problèmes religieux : en Yougoslavie, catholiques contre orthodoxes, en Israël, judaïsme contre Islam, en Inde, opposition entre musulmans et hindous malgré la séparation avec le Pakistan.

L’Islam soluble dans la laïcité ?

Mamadou Daffé : Il faut nettoyer les clichés par rapport à l’actualité récente. L’Islam en fait n’est pas communautariste par nature. Il est une relation entre Dieu et une personne. Il n’y a pas d’église. Une fatwa n’engage que l’imam qui la lance et les gens qui y croient. Le terme “ musulman ” signifie “ soumis à Dieu ”. Ce qui est important, c’est le bon comportement, l’impact de la vie religieuse sur la vie sociale, comment on a de bonnes relations avec les autres. Si on croit en Dieu, on ne peut pas agir de façon mauvaise.
Les musulmans qui vivent dans un système laïque comme en France doivent s’adapter au lieu où ils habitent. Mahomet vivait dans une communauté juive et musulmane. Chacun devait régler ses problèmes selon ses propres croyances. Les musulmans qui ont vécu en Abyssinie lorsqu’ils ont été persécutés ont été recueillis par un roi chrétien. Un musulman ne trahit ni sa foi ni sa pratique lorsqu’il vit dans une communauté différente.
En France, on doit garder le religieux au niveau privé. Mais le respect des croyances n’est pas reconnu dans les écoles quand les jeunes filles veulent porter le voile. La présence musulmane est récente. Il n’y a pas d’école par exemple pour une certaine catéchèse, il n’y a pas compatibilité.
Les musulmans rencontrent des problèmes sur les lieux de travail car ils ont cinq prières à faire par jour. Cela n’est pas admis dans une société moderne, même si nous sommes dans la laïcité. C’est un problème sérieux qui peut être réalisé par les 35 heures. Certains peuvent mal vivre cela et penser que la laïcité les empêche de pratiquer leur religion. En Espagne, entre le roi et les associations musulmanes, il y a eu un accord pour avoir deux jours de fêtes musulmanes et le vendredi pour faire sa prière.
Beaucoup de musulmans préfèrent vivre dans un état laïque comme la France que dans beaucoup d’états musulmans.
L’état doit-il s’immiscer ou pas ? Il doit avoir un rôle de surveillance et de régulation mais ne pas imposer une certaine image de l’Islam.
Alain Gérard :Il y a de grandes difficultés. L’Islam est divisé par des pouvoirs politiques. La Mosquée de Paris dépend de l’Algérie, l’Arabie Saoudite intervient aussi, donc il y a un défaut de laïcité. La cohabitation de différentes cultures exige des concessions réciproques.
Les intégristes ne sont pas les meilleurs interprètes de l’Islam. L’Islam primitif est un mythe et Ben Laden se réfère à cet Islam.
Quant au problème de l’école, si chacun arrive avec ses vêtements particuliers, ses horaires, ses règles de repas, ce n’est plus possible dans une école laïque.
Mamadou Daffé :90% des élèves sont à l’école laïque. S’il y avait une école musulmane, la plupart des musulmans iraient à l’école laïque.

Michel Sarailh, président de Café'in jette un dernier regard sur la salle avant de lancer le débat. A l'arrière plan, deux figures militantes vertes de Saint Orens arrivent pour participer au débat.

Les interventions

-La laïcité, pour moi, c’est une rupture histoiique, c’est révolutionnaire. On a fait face au pouvoir de l’Église, car l’Église est l’opium du peuple.
-En fait, Robespierre à la Révolution a inventé l’idée de l’Être suprême. La Révolution a inventé l’idée que d’autres religions que la catholique puissent venir. On a donné la citoyenneté aux Juifs. Mais pendant tout le XIX° siècle, la France est restée catholique. La laïcité n’existait pas, les Congrégations religieuses avaient le pouvoir.
-L’histoire a montré qu’en 1905, on a voulu agir en douceur. On a enlevé les crucifix pendant les vacances scolaires dans les écoles qui auparavant étaient tenues par les Congrégations. On a voulu apaiser les cléricaux.
-Ici, nous sommes dans une région où les problèmes ne sont pas pointus. Ce n’est pas comme en Vendée ou en Bretagne où la laïcité n’est pas facile à vivre. Tout n’est pas réglé en France.
-La vision d’Alain Gérard est théorique et idéaliste. Les choses ont évolué mais il reste des problèmes. Si le rapport était entre le musulman et son dieu, pas de problèmes, mais des musulmans défendent leur communauté, la ouma. Et il y a une constellation de groupes qui défendent leur interprétation contre les autres.
Mamadou Daffé : L’État se doit de mener à une paix sociale. Or, il y a des problèmes. À Bellefontaine, beaucoup de musulmans voudraient être respectés. S’il y avait seulement un panneau pour signaler le lieu de prières. J’en ai parlé à Baudis et à Douste-Blazy. Je me bats plus pour que les gens se sentent bien dans la cité que pour une mosquée-cathédrale.
Il faudrait que l’État aide les musulmans à être indépendants des pays étrangers même des musulmans. Quand on permet à des pays étrangers d’envoyer des imans, quelque part, l’État n’a pas à encourager cela.

Interventions:

-Je suis musulman et j’habite à Saint-Orens. L’Islam relève du privé. On peut vivre en parfaite harmonie. Je pense que le monde musulman connaît plus le monde occidental que le contraire. Il y a un décalage, un hiatus qui ne fait que se creuser. Il suffit en effet d’une pancarte : “ Ici il y a un lieu de culte ”. L’intervention de l’État : il y a eu une tentative de créer un Islam à la française lorsque Pasqua a fondé une école de formation des imams.

Alain Gérard : Il y a une méconnaissance de la culture arabe. Ce sont pourtant les arabes qui ont conservé tous les textes de Grèce avant qu’ils reviennent en Europe à la Renaissance. Ce qui fait peur aux non-musulmans, ce sont les intégristes. Je regrette qu’il n’y ait pas d’opinion modérée qui se fasse entendre face à l’intégrisme.

Intervention :

-La laïcité n’est pas toujours dans les mœurs. À Ramonville, pendant plusieurs années, le programme du 11 novembre et du 8 mai envoyé par la municipalité annonçait à la fin “ avec une messe ”. Il faut appuyer la revendication de l’imam Mamadou Daffé : il faudrait qu’il y ait une signalétique à Bellefontaine.

Alain Gérard : L’école laïque a une faiblesse, c’est que l’on n’y enseigne pas les religions, donc on ne parle plus des problèmes de la destinée. Même l’athée pourrait donner son avis. Quand on parle d’enseigner la religion, qu’on enseigne aussi l’agnosticisme. Il y a des courants de pensée actifs. Les ONG sont le fait d’incroyants, Amnisty International, Médecins sans Frontières ont été fondées par des incroyants.

Intervention :

-Il y a loin d’une véritable démarche de laïcité : dans un certain nombre d’établissements scolaires à St-Orens, tout se qui a trait à la religion, on met ça en sourdine.
-Jack Lang a parlé de l’enseignement des religions ces jours-ci. Mais comment trouver des enseignants assez motivés pour enseigner aux enfants dès le plus jeune âge les religions et apprendre à mieux les connaître ?

-En Lycée Professionnel, cela fait cinq ans que nous avons cet enseignement au programme et j’enseigne les différentes religions aux élèves en Histoire des religions. Je confronte les trois grandes religions pour montrer qu’elles ont une familiarité. Aujourd’hui, on sent chez les jeunes d’origine maghrébine une forte implication dans le religieux. Ils font très sérieusement le ramadam par exemple.

Mamadou Daffé : Beaucoup de jeunes ont une pratique. Ils ont envie de s’identifier à cette culture car ils se sentent particularisés. C’est souvent par réaction.
-La Ligue de l’Enseignement a proposé de discuter avec l’Islam, ce qui est mal vu des politiques. Or les bonnes relations avec Dieu sont traduites par de bonnes relations avec les autres.
Des événements aux USA, les journalistes ont retenu ceci : ça divise la communauté musulmane. Ils se prennent pour des enquêteurs, pour des policiers qui recherchent les réseaux Ben Laden.

Rappel historique : l’Université n’a jamais posé la question de la religion, il n’y a jamais eu de problème, Bonaparte a créé une Université, un enseignement pour se démarquer du religieux et avoir une sphère publique. Ce sont les congrégations religieuses qui tenaient le primaire, une partie de l’Église qui ont créé des problèmes.
-Un état laïque devrait faire en sorte que le ramadan soit interdit dans les établissements scolaires car les élèves ne peuvent tenir le coup toute la journée sans manger.
- Dans ce cas que l’on interdise réellement le tabac et l’alcool.

Mamadou Daffé : Le jeune doit s’arrêter lorsque c’est dangereux. Dans les pays musulmans, quand il y a trop de sécheresse, l’imam vient donner l’autorisation de boire..

Intervention :

-les jeunes qui font de plus en plus le ramadan, c’est un phénomène d’aliénation. On assiste à une génération qui a perdu pas mal de complexes par rapport à ses grands-parents. Il ne faudrait pas que ce soit un phénomène de balancier, tomber dans le négatif, s’affirmer par la religion.

Mamadou Daffé : Le balancier est inéluctable. Les jeunes ont vu leurs parents qui ne revendiquaient rien. Eux, ils revendiquent comme les autres Français à leur manière.
Ce qui gêne dans les religions, c’est la pratique religieuse. On peut expliquer pourquoi il y a telle spiritualité, et puis il y a une pratique. Comment expliquer cette pratique ?

Intervention :

-Mon rôle en tant qu’enseignant, c’est d’amener les petits français à s’intégrer, car ce sont des français avant tout, leur permettre de devenir des personnes libres, leur donner aussi des éléments pour comprendre les religions. Si mon élève Hafida fait le ramadan, c’est son problème, c’est du domaine privé, je n’ai pas à intervenir.

Mamadou Daffé : Certains ont refusé que leurs filles fassent de la natation, ce n’est pas une indication religieuse. C’est un cas d’incivilité de ne pas obéir.
Aux USA, parce qu’il n’y a pas d’organisation sociale, il y a du communautarisme.

Alain Gérard :La tolérance, c’est d’essayer d’avancer dans une laïcité progressiste, dans l’esprit critique et de dialogue.

Intervention :

Quel est le minimum nécessaire dans les entreprises et dans l’école ? En Algérie, il y a trois fêtes religieuses, musulmane, catholique et judaïque. Il faut dans un état laïque donner la possibilité d’avoir ces trois fêtes. Quel serait le minimum pour que chacun soit reconnu ? Il est important qu’il y ait des identifications des lieux de culte. S’il y a une méconnaissance de l’Islam, allons parlons-en.

Mamadou Daffé : Je connais un chef d’entreprise qui faisait commencer ses ouvriers à cinq heures du matin et terminer à 15 h. Les ouvriers pouvaient ainsi faire leurs prières et ils avaient plus de rendement parce qu’on les respectait. Ce que demandent les croyants musulmans, c’est la simple possibilité de se recueillir, d’avoir un local, même sans tapis pour ceux qui le souhaitent. Il y a eu une coordination, des musulmans ont été reçus par le maire de Colomiers. C’est peu connu.
La laïcité est un combat puisqu’on va passer à l’Europe, il ne faudrait pas que l’on perde cet acquis. Mais il est vrai qu’en France, encore, la laïcité n’est pas complètement acquise. En Bretagne, un maire ne veut pas d’école publique.

Mamadou Daffé est ravi que cette réunion se soit tenue c’est pour lui un signe que les musulmans sont considérés et que l’on a essayé de comprendre l’Islam.

C’est d’ailleurs l’avis de tous : la laïcité ne se maintiendra que si on essaie de comprendre cette autre culture qu’est l’Islam qui , comme on l’ a vu, est peu connue en France.

La réunion se termine à 24 h

La secrétaire, Nadine Lanneau